Victoria

La reine rouge : Les derniers instants du cauchemar

Les mains pleines de sang et le cœur battant si fort qu’il semble prêt à éclater de ma poitrine, je couche ces lignes sur le papier. Mes doigts glissent, trempés comme si j’avais plongé dans un bain d’huile. Pourtant, il me faut raconter ce qui s’est produit au terme de huit mois d’une traque éprouvante, sans pitié.

L’ordre a été donné il y a huit mois. Ici-bas, plusieurs centaines de créatures que nous classons comme « magiques » arpentent le monde. Nous les nommons ainsi car elles défient toute loi naturelle. Ces créatures n’ont qu’une règle : laisser vivre les autres espèces magiques selon leurs rites et appétits. Ainsi, une dryade, être bienveillant, n’a pas le droit de s’opposer à un vampire s’attaquant à un humain.

Quand un de ces monstres dévie, c’est à nous, chasseurs, humains parmi les humains, de canaliser ou tuer la créature pour préserver l’équilibre. C’est sous cette logique que le Patriarche nous a missionnés, nous, de la huitième compagnie, pour traquer et abattre celle qu’on nomme la Reine Rouge, la Dame de Sang. Son véritable nom est Victoria. Elle est la première de sa race, celle des vampires. Pour les humains, les vampires sont parmi les pires fléaux : des bêtes assoiffées de sang, sans distinction, se nourrissant de femmes et d’enfants.

Mais la Reine Rouge était différente. Raffinée, élégante, et habituellement discrète, elle ne quittait que rarement son île. Elle vivait en retrait, au milieu d’un lac, sur un îlot verdoyant, assez grand pour un village. Pourtant, il faudrait être fou pour s’installer près de son domaine. Jusqu’à l’an dernier, les rares aventuriers qui s’approchaient de l’île semblaient suffire à la sustenter. Selon les premiers témoignages, elle avait, pour une raison inconnue, quitté son repaire, emportée par une fureur inédite.

Cette créature n’est pas humaine ; ses réactions nous échappent. D’un jour à l’autre, elle s’est mise à ravager tout sur son passage. Villages, nids de fées : rien ni personne n’était épargné. Ce fut durant cette période de terreur que nous avons reçu l’ordre d’agir. En tout, quatre cohortes de cinquante hommes chacune, tous entraînés et armés, sont parties à sa poursuite. Je suis probablement le dernier survivant.

Suivre Victoria était étrangement facile. Jamais, dans ma carrière de chasseur, je n’ai vu une piste si claire. Convaincue de sa supériorité, elle ne prenait pas la peine de dissimuler ses traces. Les signes les plus récents de son passage étaient marqués de viscères et d’os. Personne ne savait ce qui avait provoqué cette rage. Cependant, il ne s’agissait pas de faim.

Nous l’avons rattrapée en quelques jours. La partie simple de notre mission était terminée ; le vrai défi était de calmer ou de tuer ce fléau. Nous ignorions si elle était mortelle.

Traditionnellement, lorsque nous doutons de la mortalité d’une créature, nous la démantelons et séparons ses restes, mais j’y reviendrai.

Nous avons acculé la bête au pied d’une falaise. Notre commandant, Serfa, ordonna aux archers de la cribler de flèches, espérant la transformer en un amas de bois et de chair. Les flèches fendaient l’air en si grand nombre que la lumière disparaissait à mesure que l’obscurité s’abattait sur notre cible. Mais, comme toutes les créatures traquées, elle était plus dangereuse que jamais.

Le commandant Serfa n’avait pas dissimulé notre approche, confiant en notre nombre. La Reine Rouge nous attendait. Nos premiers projectiles décochés, elle s’était déjà jetée sur nous, tranchant des gorges avec une agilité mortelle. Mes compagnons s’effondraient un à un dans des gerbes de sang qui rendaient le sol glissant. Ce massacre n’avait fait qu’aiguiser son appétit.

Je pris le commandement dans ce chaos pour tenter de mener notre mission à bien. Piège après piège, jour après jour, nous la guidions lentement vers son île. Elle semblait craindre le feu ; je m’en suis servi pour la contraindre à se replier chez elle. Pendant des mois, nous avons utilisé nos dernières forces pour maintenir cette créature infernale confinée dans sa propre demeure, sans répit, incendiant fenêtres et portes pour qu’elle reste enfermée dans cette geôle ardente.

Finalement, elle cessa de résister. Pensant la créature vaincue, nous avons pénétré le château à l’aube, fouillant les quatre-vingt-trois pièces de la forteresse. Sans succès. Puis, au terme de recherches minutieuses, nous avons découvert l’accès aux catacombes.

Le passage était étroit, sombre, et aucun bruit ni souffle n’en émanait. Torches à la main, nous descendîmes les degrés, pénétrant l’antre de la mort. Les murs des catacombes étaient composés de terre mêlée d’ossements, restes de milliers de victimes. Le château reposait sur des fondations d’os.

Les ténèbres pesaient plus lourd à chaque pas, et l’air, empli de miasmes antiques, devenait étouffant. Certains d’entre nous vomissaient. Soudain, au détour d’une allée, nos torches projetèrent leur lumière sur une vaste salle où nous attendait Victoria, assise sur un trône macabre.

Elle n’attendit pas que nous parlions. Elle bondit, tranchant les gorges des deux hommes à mes côtés, et dans le même élan, me projeta violemment contre le mur. À demi-conscient, j’entendais les cris, les bruits de luttes, les corps heurtant sol et murs. Quand je repris mes esprits, j’essayai de me relever, mais je glissai dans le sang épais de mes compagnons.

Victoria gisait à deux pas de moi. Son corps inerte portait les marques de notre combat. Deux dagues, trois épées et une lance brisée transperçaient son flanc. Son sang noir et poisseux exhalait une odeur âcre.

Ma tâche était enfin accomplie. Les humains connaîtront un répit, avant qu’une nouvelle menace ne surgisse pour les mettre en danger. Cela fait trois jours que j’erre dans les catacombes, incapable de trouver la sortie. Si quelqu’un lit ceci un jour, sachez que nous nous sommes battus vaillamment pour protéger ceux qui nous sont chers. N’approchez pas la bête, même si elle semble morte. Je ne crois pas qu’elle puisse véritablement périr, sauf à être digérée par une entité plus terrible encore. Que cette créature n’apparaisse jamais sur notre Terre.

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Né en Corse au début des années 80, l'auteur, J.M. Martin commence très tôt à aiguiser sa plume en de nombreuses circonstances. Après avoir émigré à Toulouse et suite à divers rebondissements personnels et professionnels il se lance cette fois dans l' écriture professionnelle et nous ouvre les portes d'un univers inédit. Composé d'une multitude de strates et d'une mythologie complète, il parvient à faire éditer ses premiers livres assez rapidement. Aujourd'hui, de retour sur son île natale, il scénarise pour le studio de jeux vidéo JDO-Univers, il continue malgré tout ses œuvres littéraires complétant un univers riche et infini.

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