« L’Éboueur de l’Infini »

Dans les confins sombres et silencieux de la galaxie, où les étoiles brillent comme des LED bon marché, le Propre Horizon flottait mollement. Il s’agissait du vaisseau spatial le plus noble de la flotte intergalactique d’élimination des déchets – ce qui voulait dire qu’il était légèrement moins rouillé que ses congénères.

À bord, l’équipage ne brillait pas par sa finesse. Le capitaine Fenwick Plombdoux, qui arborait fièrement une moustache si impeccable qu’elle semblait être la seule chose bien entretenue à bord, observait avec suspicion le tableau de commande principal. Il clignotait en rouge et émettait un bip-bip alarmant.

« On dirait qu’on a un problème, capitaine, » dit Pliéfix, le mécanicien en chef, tout en jonglant avec une clé à molette, une tasse de café et un sandwich. Il était célèbre pour deux choses : son extraordinaire habileté à ignorer les problèmes, et son taux de survie inexplicable.

Fenwick tapota l’écran avec autorité. « Je le vois, Pliéfix. Mais c’est quoi, ce problème ? »

« Probablement une panne moteur. Ou une invasion alien. Ou peut-être qu’on est à court de gobelets en papier, » répondit Pliéfix en haussant les épaules. Il appuya sur un bouton, déclenchant un autre bip plus strident. « Ah non, ça, c’est juste la machine à café. »

Le Propre Horizon n’était pas seulement un vaisseau d’ordures ; c’était le vaisseau d’ordures. Officiellement, il collectait les déchets des colonies interstellaires et les expédiait dans le néant. Officieusement, il avait plus l’air d’un gigantesque container flottant et puant qui transportait un équipage de bras cassés dans l’espace.

Soudain, le tableau de commande afficha un message en clignotant : « Panne critique des moteurs. Cause probable : surcharge d’ordures. »

Fenwick blêmit. « On est immobilisés ? Dans l’espace ? »

Pliéfix mâcha pensivement son sandwich. « Eh bien, techniquement, l’espace est l’endroit idéal pour être immobilisé. »

L’officier des communications, une IA nommée Brenda 2.0, s’activa dans un grésillement. « Attention, équipage. Les moteurs sont pleins de détritus. Il est fortement recommandé de nettoyer immédiatement avant que la masse critique ne déclenche une implosion spatio-temporelle. »

Fenwick fronça les sourcils. « C’est une plaisanterie ? »

« Je ne fais pas d’humour. Je suis une IA. »

« Et une IA franchement ennuyante, » marmonna Pliéfix.

Brenda 2.0 continua sans se démonter : « Pour information, la probabilité d’implosion est de 87 %. »

Fenwick bondit sur ses pieds. « Pliéfix, il faut qu’on fasse quelque chose ! »

Le mécanicien soupira. « On peut essayer de relancer les moteurs en éjectant un peu de cette cochonnerie. Mais ça implique d’aller dans la soute. »

La soute. C’était là où les ordures vivaient, proliféraient, et – selon certaines légendes de l’équipage – développaient leur propre écosystème. Des rumeurs parlaient même d’une tribu de rats mutants à six bras, devenus adorateurs d’une divinité en forme de grille-pain.

Fenwick hocha la tête avec gravité. « Très bien. Que le meilleur gagne. »


Quelques minutes plus tard, armés de bâtons électriques et de désodorisants d’urgence, Fenwick et Pliéfix pénétrèrent dans la soute. L’odeur qui les accueillit était si épouvantable que même Brenda 2.0 refusa de surveiller leur progression.

Ils avancèrent à tâtons dans le labyrinthe de déchets, repoussant des morceaux de vieux frigos, des restes de pizza fossilisés, et un inexplicable canard en plastique géant.

« Là ! » s’exclama Pliéfix, pointant une montagne de détritus coincée dans le système d’évacuation. « Si on dégage ça, tout ira bien. »

« Et si on ne le fait pas ? » demanda Fenwick.

Pliéfix haussa les épaules. « L’univers explose, probablement. »

Avec une détermination mêlée d’une terreur mal dissimulée, ils commencèrent à déblayer. Chaque pelle pleine de détritus leur révélait un nouvel objet plus absurde que le précédent – une théière cassée, un pistolet à eau, un chat empaillé, et même un manuel d’auto-assistance intitulé Vivre avec sa procrastination cosmique.

Enfin, le système émit un gargouillement inquiétant, suivi d’un bruit de succion.

« Voilà, c’est dégagé ! » s’exclama Pliéfix, triomphant.

Mais leur joie fut de courte durée. Un grondement retentit, suivi d’une vibration qui secoua tout le vaisseau.

« C’était quoi, ça ? » demanda Fenwick.

Brenda 2.0 répondit calmement. « Je crois que vous avez accidentellement activé le mode ‘propulsion turbo’. Préparez-vous à atteindre la vitesse lumière… rétroactivement. »

« Comment ça, rétroactivement ? »

Et dans un éclair de lumière, le Propre Horizon fut projeté en arrière dans le temps, devenant sans le vouloir le tout premier vaisseau d’ordures à explorer l’univers… et à déposer des détritus dans des époques où ils n’avaient rien à faire.


Ainsi commença la légende du Propre Horizon, le vaisseau qui fit de la gestion des déchets une aventure intergalactique. On raconte qu’il est responsable des mystérieux débris trouvés sur Mars, des anomalies dans la préhistoire terrestre, et de l’apparition inexpliquée d’un grille-pain dans les pyramides égyptiennes.

Et Fenwick, comme tout bon capitaine, jura de toujours vérifier deux fois avant de presser un bouton rouge.

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Né en Corse au début des années 80, l'auteur, J.M. Martin commence très tôt à aiguiser sa plume en de nombreuses circonstances. Après avoir émigré à Toulouse et suite à divers rebondissements personnels et professionnels il se lance cette fois dans l' écriture professionnelle et nous ouvre les portes d'un univers inédit. Composé d'une multitude de strates et d'une mythologie complète, il parvient à faire éditer ses premiers livres assez rapidement. Aujourd'hui, de retour sur son île natale, il scénarise pour le studio de jeux vidéo JDO-Univers, il continue malgré tout ses œuvres littéraires complétant un univers riche et infini.

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